Changer la Migros ?
Article paru dans le quotidien Le Courrier
« Un terrain merveilleux pour expérimenter la démocratie économique. » Difficile aujourd'hui de croire que cette formule optimiste ait pu désigner le géant orange tant son fonctionnement semble éloigné de l'idéal démocratique des coopératives. C'est pourtant ainsi que la conseillère nationale Yvette Jaggi voyait la Migros en mars 1980. Interrogée par le journaliste Jean Steinauer pour l'hebdomadaire Tout va bien, la politicienne socialiste vaudoise s'exprimait en tant que représentante romande du mouvement M-Renouveau. Celui-ci venait de se constituer formellement en association et démarrait l'édition d'un bulletin d'information mensuel. Son but ? Démocratiser la Migros en profitant du cadre légal auquel sont soumis les coopératives et qui donne un pouvoir important sur la direction de l'entreprise aux coopératrices et coopérateurs. Pour M-Renouveau, les orientations prises par le groupe Migros depuis les années 1950 étaient en contradiction avec les principes sociaux du fondateur Gottlieb Duttweiler, mais également avec les aspirations nouvelles d'une partie de la clientèle à une alimentation saine et un commerce équitable. C'est en ce sens que M-Renouveau entendait infléchir la direction du groupe coopératif.
La fin des années 1970 marque en effet l'apogée de la modernisation imposée au groupe par Pierre Arnold alors président-directeur général de la Fédération des coopératives Migros (FCM). Arnold (1921-2007), ingénieur agronome et fonctionnaire dans diverses organisations professionnelles agricoles, devient directeur de la FCM en 1958. Il développe rapidement des projets de modernisation du groupe en particulier autour de l'approvisionnement. Pour cet agronome vaudois, la Migros a un rôle central à jouer dans la modernisation de l'agriculture qui seule peut garantir un accès à bas prix au standard moderne de l'alimentation, c'est-à-dire principalement à l'augmentation de la consommation de viande. Avec cet objectif, il développe une filière d'élevage intégré de volaille (Optigal) : dans ce système, les éleveuses et éleveurs voient leur marge de manœuvre réduite. Migros leur impose la génétique des bêtes qu'elle développe, leur alimentation et les conditions de vente. Ils et elles deviennent des salariés du groupe sans toutefois bénéficier du statut d'employé·e. Arnold tentera également d'organiser la production de porc sur le même modèle (lire nos carnets d'octobre et décembre 2021) et établira solidement les activités de transformation agro-alimentaire de la coopérative.
Cette orientation productiviste du groupe incarnée par l'agronome vaudois est contestée à l'intérieur de la coopérative. Un premier éclat intervient en 1978 avec le licenciement du rédacteur en chef de Die Tat, le quotidien fondé en 1935 par Gottlieb Duttweiler, à la suite d'un conflit permanent avec la direction de la Fédération des coopératives Migros. Le licenciement entraîne plusieurs jours de grève et, finalement, le renvoi de l'ensemble de la rédaction et la liquidation du titre. Simultanément, le directeur de l'Institut Gottlieb Duttweiler et ancien collaborateur personne du fondateur du groupe, Hans A. Pestalozzi (1929-2004), émet des critiques virulentes sur la direction de la FCM. Il est renvoyé de son poste à l'Institut en septembre 1979 et c'est suite à son licenciement qu'il fonde le mouvement M-Renouveau (M-Frühling, en allemand).
Le premier objectif que se donne le mouvement est d'obtenir des sièges au conseil d'administration de la Fédération des coopératives Migros. L'année 1980 est donc consacrée à une campagne électorale. Hans Pestalozzi publie un manifeste intitulé M-Frühling : vom Migrosaurier zum menschlichen Mass (M-Renouveau : passer du Migrosaure à une taille humaine). Yvette Jaggi affronte Pierre Arnold lors d'un débat contradictoire à la télévision le 13 avril.
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