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Vers une caisse alimentaire

Article paru dans le quotidien Le Courrier

Lors de la Journée internationale des luttes paysannes, le 17 avril dernier, plusieurs organisations ont présenté au public le projet qu'elles portent de Caisse genevoise de l'alimentation. J'ai déjà évoqué ici l'idée de sécurité sociale de l'alimentation développée en France autour du Réseau salariat et de la Confédération paysanne (Le Courrier, 2 décembre 2020 et 24 février 2022) et dont s'inspire la Caisse genevoise.

Dans le sillage des travaux de l'économiste Bernard Friot, il s'agit de considérer les institutions de la sécurité sociale française comme des outils susceptibles de regagner du terrain contre le marché. Ce qui fonctionne pour la santé pourrait être étendu à d'autres besoins élémentaire, en l'occurrence l'alimentation. Concrètement, les citoyennes et citoyens recevraient un montant pour leurs dépenses alimentaires financé par des cotisations semblables aux cotisations pour les retraites. Les dépenses ne peuvent se faire qu'auprès de structures productrices sélectionnées par les caisses locales selon un processus appelé le conventionnement. Trois idées fortes au cœur de ce système. D'abord, il a une vocation universelle : ce n'est pas de l'aide alimentaire pour qui en a besoin, mais une autre manière de concevoir l'approvisionnement de toutes et tous. Ensuite, la sélection des structures productrices est démocratique et pas bureaucratique : les choix sont faits par les membres des caisses selon des modalités réfléchies collectivement. Enfin, on se passe de l'État, car les cotisations (taux, assiettes, prélèvements) sont gérées directement par les caisses locales ou nationale administrées par les cotisantes et cotisants.

La Caisse genevoise présentée le 17 avril dernier s'inspire donc de ces élaborations. La volonté des porteurs genevois du projet (Mouvement pour une Agriculture Paysanne et Citoyenne, Filière Alimentaire des Vergers, FIAN Suisse, APRES-GE, Uniterre et Équilibre) est d'expérimenter rapidement le système à petite échelle. En mars 2024, deux comités ont été créés aux Pâquis et à Meyrin pour s'informer, partager des expériences existantes, se questionner. Depuis le début de l'année, un projet pilote a démarré avec la définition des critères de conventionnement et les choix de fonctionnement des caisses (montant des cotisations, gouvernance).

Alors que la Migros fête son siècle d'existence dans une débauche d'autoritarisme managérial et de publicités douteuses, l'initiative de la Caisse genevoise de l'alimentation rappelle que sortir l'approvisionnement alimentaire du marché a longtemps été une préoccupation majeure des mouvements sociaux. À Genève, la première Boulangerie mutuelle voit le jour en 1837 et constitue une des premières formes de coopérative de consommation en Suisse. En 1851, les milieux socialistes fondent la Coopérative de consommation de Zurich qui donnera l'Union suisse des coopératives de consommation (1890). À la fin du XIX^e^, le mouvement coopératif est considéré comme un des trois piliers du mouvement ouvrier avec le parti et le syndicat. Il préfigure un futur débarrassé du capitalisme et cherche à émanciper les travailleurs et travailleuses de la charité des organisations philanthropiques qui foisonnent.

La société fondée en 1925 par Gottlieb Duttweiler ne s'inscrit pas dans cette histoire ouvrière de la coopération. Migros ne devient une coopérative qu'en 1941 et, surtout, elle est l'œuvre d'un homme plutôt que d'un mouvement. Elle reflète néanmoins des positions politiques très présentes dans l'entre-deux-guerres qui privilégient la collaboration de classe plutôt que le conflit comme le résume l'oxymore mobilisé par Duttweiler de capitalisme social. Quant à l'Union suisse des coopératives de consommation, ses origines socialistes s'estompent à mesure qu'elle grandit pour disparaître absolument dans les années 1960 lorsqu'elle prend sa raison sociale actuelle : Coop.

Les dérives du coopératisme à la mode Duttweiler et la peu glorieuse intégration complète de la Coop au capitalisme montrent que soustraire l'alimentation au marché est une lutte permanente. La Caisse genevoise de l'alimentation vient heureusement expérimenter une voie qui présente la qualité majeure de pouvoir être envisagée à grande échelle dans une période où les alternatives agricoles s'envisagent surtout en termes de niches ou de segments de marchés. Souhaitons-lui longue vie !

On peut contacter la caisse genevoise en visitant son site web : https://calim-ge.ch/