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La guerre intérieure de Donald Trump 2

Article paru dans le quotidien Le Courrier

Les rafles de l'Immigration and Custom Enforcement (ICE) qui continuent de cibler les travailleuses et travailleurs agricoles en Californie ont pour objectif de contrer les avancées sociales obtenues ces dernières années par ces salarié·es précarisé·es (lire notre chronique du 1^er^* juillet 2025*). Le 11 juillet dernier, un homme est mort au cours d'une de ces rafles. Jaime Alanís Garcia a chuté depuis le toit d'une serre dans une exploitation agricole de Camarilla, au nord-ouest de Los Angeles, alors qu'il essayait d'échapper aux milicien·nes.

Au moment même où elle pleurait la mort de Garcia, l'United Farm Workers (UFW), qui organise les salarié·es agricoles californiens, obtenait une victoire judiciaire. À la demande de l'UFW et de l'American Civil Liberties Union (ACLU), une juge fédérale a estimé ces rafles illégales. Les agent·es fédéraux ne peuvent pas procéder à des arrestations sur la base de la couleur de la peau, de la langue parlée ou du lieu de travail. Des preuves d'un soupçon fondé d'infraction doivent être apportées. Cette décision ne suspend toutefois pas l'action de l'ICE et ne concerne qu'un seul comté.

Parmi les personnes qui se sont félicitées de ce jugement, figure le gouverneur démocrate de Californie, Gavin Newsom. Il s'affiche depuis le début des rafles comme un opposant à Donald Trump et un défenseur des salarié·es agricoles californiens. Les motifs qui conduisent le gouverneur démocrate à cette position sont cependant ambigus. Ils méritent, je crois, que l'on s'y arrête, car ils sont emblématiques d'une configuration politique qui dépasse le cas californien.

Lors de son passage à la mairie de San Francisco, Newsom s'était montré moins défiant à l'égard de l'ICE. La pratique de la municipalité consistait à ne pas dénoncer aux agences fédérales de contrôle de l'immigration les habitant·es ne disposant pas de permis de résidence. Durant sa mairie, Gavin Newsom rompt avec cette pratique. Sa position actuelle sur les rafles de l'ICE apparaît donc surtout opportuniste : Newsom figure parmi les candidats démocrates potentiels à la présidence à la fin du mandat de Trump et il lui faut donc apparaître comme un opposant.

Plus significative encore est la politique de Newsom en matière de droits des travailleuses et travailleurs. Newsom n'est pas avare du droit de veto, dont il dispose en tant que gouverneur, pour bloquer des propositions de loi en faveur des droits des salarié·es. En 2021, Newsom bloquait une loi permettant aux salarié·es agricoles de se syndiquer plus facilement. Ce n'est qu'au prix d'une campagne acharnée de l'United Farm Workers que le politicien a accepté de signer le décret d'application. L'an dernier, c'est la loi SB 1299 qui se heurtait à son veto : elle devait faciliter les conditions d'arrêt de travail en cas de vague de chaleur.

La carrière de Newsom hors de la politique éclaire sa duplicité. Âgé de 24 ans, il fonde Plumpjack Winery, exploitation viticole et commerce de vins, avec l'aide de Gordon Getty, un ami de la famille et héritier de l'empire du pétrole Getty Oil. Plumpjack produit du vin à plus de 300 dollars la bouteille et importe des grands crus français qu'elle vend à des prix stratosphériques. En tant qu'entrepreneur agricole, Gavin Newsom a ainsi tout intérêt à disposer d'une main-d'œuvre bon marché aux conditions de travail dégradées.

Beaucoup de politicien·nes de gauche ou supposé·es tel·les, de Keir Starmer à Sarah Wagenknecht en passant par François Ruffin, estiment qu'une politique de libre circulation des personnes est incompatible avec la défense des droits des salarié·es du pays. Soutenu·es par des théoriciens comme Wolfgang Streeck (The Nation, 18 juin 2025) ou Perry Anderson (London Review of Books, 3 avril 2025), ils et elles voient dans la revendication de la libre circulation des personnes une faiblesse humaniste de la gauche. Pour Anderson, celle-ci n'est pas capable d'appréhender correctement ce qu'il appelle « le problème de l'immigration ». Les luttes des salarié·es agricoles californien·nes montrent, au contraire, que l'action d'un syndicat de base peut faire converger les intérêts de l'ensemble des travailleuses et travailleurs, quel que soit leur statut, vers une amélioration générale des conditions de travail. C'est ce combat, et certainement pas l'opportunisme d'un viticulteur de luxe de la Napa Valley, qui constitue la véritable résistance à Donald Trump et ses milices.